"Un podcast, c’est ni plus ni moins de la radio, avec une multiplicité de formes. Mais il n’est pas revendiqué comme tel." Alors que Médiamétrie publie les résultats d'audience des 3 premiers mois en Ile de France, entretien avec François Desnoyers, consultant, ex dirigeant à Radio France et France Télévisions. |
Pas de forte dissonance entre l’Ile de France et l’audience nationale du côté de la radio selon le sondage publié ce matin sur la région capitale.
France Inter est la station la plus écoutée et ses 2 challengers, toutefois assez éloignés en volume d'auditeurs, sont les mêmes,
même si sur Paris et sa banlieue c’est France Info qui est deuxième en dépassant RTL.
La plus forte progression c'est RMC, qui se classe 4ème.
Côté musicales : progression de NRJ alors que Skyrock, qui reste la mieux placée sur ce format, cède un peu de terrain.
Mais comme la semaine dernière avec la vague qui mesurait l'audience sur l’ensemble de l’hexagone,
un questionnement s’impose :
le média radio faiblit, mais les auditeurs ne délaissent pas pour autant l’audio avec notamment la progression constante de l’écoute de podcasts.
Coup de fil à François Desnoyers, consultant, ex Directeur du réseau France 3 et Directeur Général en charge de la stratégie à Radio France.
"La radio est dans le brouillard, c’est certain. Côté télévision, le paysage apparaît plus clair.
L’évolution y est bien analysée depuis plusieurs années après l’apparition des plateformes, dont Netflix et l’explosion de la vidéo sur internet.
Notamment avec Youtube : les internautes y passent plus de temps qu’à regarder leur petit écran si bien qu’en cumulé,
elle est devenue la première chaîne de télévision de France !
Du côté de la radio, la visibilité est moins nette.
Il y a quelques années encore, la radio, c’est-à-dire un flux, était le véritable compagnon du quotidien, plusieurs heures par jour et par individu.
Avec, en France, 6 récepteurs en moyenne par foyer, à tel point que certains disaient au début des années 2000 :
"il y a 3 robinets chez les gens : l’eau chaude, l’eau froide et la radio !".
Bref, un média de masse à l’impact considérable qui n’avait pas à rougir devant la télévision.
Depuis quelques années le nombre d’auditeurs quotidiens, n’en finit pas de baisser, et de façon très régulière.
Le média semble menacé notamment du fait d’une dégradation très nette chez les moins de 25 ans qui affirment de moins en moins "écouter la radio".
Cela se vérifie dans les études publiées par Médiamétrie tous les 3 mois,
cette fameuse mesure quotidienne qu’on appelle dans le jargon "l’audience cumulée de la veille".
Cela comptabilise ceux qui ont le réflexe d’allumer leur radio tous les jours, au moins une fois.
Mais en même temps, l’écoute en différé (les podcasts) ne cesse d’augmenter.
Des modèles économiques, qui sont encore fragiles, se mettent en place.
Tous les médias produisent du podcast, y compris ceux qui ne sont pas des radios à l’origine.
Il n’y a pas un mois sans que l'on voit apparaitre de nouveaux éditeurs, de nouvelles offres.
Or, un podcast, c’est ni plus ni moins de la radio, avec une multiplicité de formes.
Mais il n’est pas revendiqué comme tel. Issu d’une antenne de flux ou non, il a une personnalité propre.
C’est pour cela que les professionnels ont de plus en plus tendance à parler "d’audio" que de "radio"
et vous avez vu que NRJ Group se baptise désormais NRJ Audio.
C’est donc en réalité le mode d’écoute qui est différent !
Si on regarde cette grande enquête par vagues qu’est l’EAR de Médiamétrie,
on peut avoir l’impression d’une catastrophe sectorielle,
alors qu’en réalité c’est sans doute une diversification qu’on ne sait pas peut-être quantifier dans sa globalité aujourd’hui."
L’incidence pour la profession est énorme …
Les radios doivent continuer à travailler la qualité de leur offre traditionnelle, tout en la déclinant en podcast, voire en vidéo ?
"La bonne vieille radio a déjà connu plusieurs étapes au fil de son histoire …
Originellement il est question de communication "Sans Fil", c’est bien ce que signifiait TSF …
Puis est apparaît dans les années 60 le fameux transistor, qui fait de la radio le premier grand média mobile de masse.
Pendant une cinquantaine d’années, jusqu’à l’apparition du web, la radio est partout où sont les gens : en balade, en voiture, sur la plage, dans la rue …
Cela reste vrai, mais elle est de plus en plus reçue aujourd’hui par l’outil que nous avons tous en poche :
le smartphone.
La révolution c’est que l’outil n’est pas vécu comme, en soi, un récepteur de radio, car il offre des fonctions innombrables.
L’audio (la radio, les podcasts et le streaming musical) n’en est qu’une partie.
Il est certain que pour les acteurs du marché de la radio, les incidences économiques sont considérables : ce sont les chiffres d’affaires qui sont directement impactés.…
Le confort pour les annonceurs qui étaient certains de toucher X centaines de milliers d’auditeurs par message,
en connaissant précisément l’audience des stations à tel ou tel moment, est remis en cause !
Il faudrait donc que l’audience reflète les divers canaux par lesquels les auditeurs écoutent désormais le média sous différentes formes ?
Prenons l’exemple de la station leader, France Inter.
Elle propose une telle densité de programmes qu’au fond, elle est découpable en une multitude de séquences qui peuvent avoir, en différé, leur vie propre.
Inter est bien un flux, mais à haute tension de contenus, où chaque production peut aussi être écoutée séparément de l’antenne diffusée en direct.
Certains auditeurs écoutent un podcast proposé par tel ou tel producteur ou journaliste, sans avoir réellement conscience d’être des auditeurs quotidiens de la station France Inter
et pourtant c’est le cas !
C’est le concept de la radio de flux, qu’on met en fond sonore, qu’on écoute sans vraiment avoir conscience de l’écouter, qui est ainsi challengé.
A la fois par ces nouveaux modes d’écoute, et, naturellement, par la concurrence des nouveaux flux TV, dans le domaine de l’information.
Ainsi, BFM ou LCI peuvent être aussi désormais ces "bruits de fond", ces ambiances sonores qui étaient auparavant l’apanage de la radio.
C’est tout à fait en phase avec ce que vit l’ensemble de la société …
Les gens veulent tout choisir, y compris donc leur manière d’aborder l’audio, c’est à dire de se divertir ou de s’informer ?
C’est tout le principe de l’espace digital qui, grâce aux outils qu’il a apportés, a finalement généré non pas seulement des changements d’habitude,
mais une véritable nouvelle civilisation, une nouvelle façon de vivre.
Sans penser que tout le monde est un "geek", il faut bien mesurer que cette révolution n’est pas une affaire d’ingénieurs,
c’est une révolution des usages du plus grand public.
Forcément, la radio ne peut pas (ne doit pas) rester toute seule dans son coin.
Elle participe au paysage cross-média que votre entreprise analyse en permanence.
Faites l’expérience...
Si vous voulez acheter un récepteur radio en tant que tel, cela saute aux yeux chez le moindre distributeur : le nombre d’appareils disponibles est très réduit !
Mais on oublie que le rayon voisin offre aussi des récepteurs radio à travers les enceintes connectées et, évidemment, le smartphone.
Quand on a connu ce qu’était la radio jusque dans les années 2010, c’est violent comme situation.
En fait, d’autres équipements familiers et à usage quotidien succèdent au récepteur de radio.
Et je suis convaincu que la radio a su se glisser dans tous les interstices du monde digital !
Elle n’est simplement pas ressentie comme telle par tout le monde (en particulier les plus jeunes) et dans toutes les circonstances d’écoute.
D’où la nécessité, pour les éditeurs radio, de renforcer encore, tous azimuts,
leur territoire de marque afin d’accroître le taux d’attribution à leur label de tout ce qu’ils produisent et diffusent (en fait, distribuent) en direct ou en délinéarisé.
Peu importe si, demain, la traditionnelle radio se fond dans un ensemble baptisé "audio" :
produire les contenus qu’elle produit est un authentique métier qui répond à un besoin éternel et immense, écouter quelque chose et surtout quelqu’un,
être branché, en tant qu’auditeur, aux bruits du monde.
Donc, n’enterrons pas le média.
Il est bien vivant et sa résilience a maintes fois été démontrée."
Les résultats de la vague Janvier/Mars 2023 en Ile de France, publiés par Médiamétrie.
Thierry Mathieu,
Président d'e-crossmedia,
le 27 avril 2023.
Ce site utilise uniquement des cookies nécéssaires a son bon fonctionnement 💪 !