Quand une crise diplomatique se déclenche à la télé… "Les pays de l’ex Union Soviétique ne sont pas légitimes et souverains ! »  Voilà la bombe jetée par l’ambassadeur de Chine sur LCI, qui déclenche de vives réactions dans les chancelleries ! Entretien avec le journaliste qui a mené l’interview Darius Rochebin.

Il se fait appeler "le loup combattant qui fait face à des hyènes folles" …

Lu Shaye incarne le nouveau visage d’une diplomatie chinoise décomplexée face à l'Occident .

Ambassadeur de Chine en France, il considère que l'important est de plaire à ses compatriotes chinois, en menant de véritables combats de l'opinion sur le plan international.

A 59 ans, après avoir été en poste en Afrique et au Canada entre autres,

on dit de lui qu’il est depuis Paris le fer de lance en Europe d'une nouvelle génération de diplomates chinois qui mènent une guerre médiatique contre tous ceux qui critiquent la politique de Pékin,

et dénonce "l'égoïsme occidental" et le "suprémacisme blanc".

Sur le plateau de LCI ce vendredi, il a déclenché une forte crise avec les chancelleries des Pays Baltes, d’Ukraine et aussi avec la France,

en affirmant que les frontières des pays issus de l’ex-Union Soviétique ne sont pas légitimes.

Coup de fil à Darius Rochebin qui a réalisé cet interview, plutôt musclé !

"Avant même l’interview, j’ai en tête les positions officielles de la Chine, ou ce qu'on en sait, et certaines ambiguïtés …

Mais je ne peux pas dire que je m’attends exactement à ces déclarations, qui créent depuis tant d'émois dans les diverses chancelleries !

A mon sens, en tout cas, l'ambassadeur exprime une tendance générale de la Chine à être proche des positions russes.

Nous l'avons vu notamment lors de la visite de Xi Jinping à Moscou en mars.

Maintenant  ...

Est-ce que ces dires sur la Crimée et sur les pays ex-soviétiques seront assumés par Pékin ?

C'est ce que demande le Quai d'Orsay.

La France dit être consternée et attend une clarification sur cette question-là.

Ce sont les pays baltes qui sont très directement concernés avec la Géorgie, et surtout évidemment l’Ukraine."

L'ambassadeur, comme par exemple le porte-parole de l’ambassade de Russie en France, soutiennent, des thèses qu'on a bien du mal à comprendre …

"L’intérêt c'est de faire apparaître la réalité de leur position, parvenir à faire sortir le fond de leurs pensées et je crois que cela a été le cas avec Lu Shaye.

Il m'est arrivé d'interviewer par exemple le président iranien Hachemi Rafsandjani qui est aussi, comme vous dites, très loin de nos positions occidentales sur les droits de l'homme notamment.

On aborde ce genre d'interview avec une démarche un peu particulière.

Le but n'est pas de réaliser un entretien agressif, c’est de faire apparaître la réalité des positions."

Il y a des moments très "sportifs", comme quand vous lui rappelez les millions de victimes du régime ...

"C'est invraisemblable ce qu'il se passe à l'antenne à ce moment-là, il y a un moment de très grande tension.

Pour nous c'est une évidence et pourtant ...

Non seulement il n'y a pas de procès des crimes du maoïsme.

Bien au contraire.

Il y a une tendance au durcissement qui est tout à fait assumée par Lu Shaye !

C'est vraiment un moment journalistiquement intéressant pour moi, on ressent une très forte tension, 

y compris dans le non verbal.

Il tape même son verre d'eau sur le bureau,

il recule sa chaise ...

On comprend que ce n'est pas seulement de l'anecdote.

Ca illustre une tension de fond : les chinois assument une position diamétralement opposée à l'occident.

Ca m'a beaucoup frappé dans le passage sur Tiananmen, où il est très dur en voyant la fameuse photo de l'homme seul devant les chars.

Pour nous c'est quand même une image touchante, celle de la résistance.

Lui assume pleinement la répression !"

Vous continuez à LCI de mettre l'accent sur l'international, alors que l'actualité est aussi très riche en France.

Cette stratégie est-elle toujours en phase avec le public ?

"Ce soir nous consacrerons une séquence à Emmanuel Macron qui a accordé un interview face aux lecteurs du Parisien-Aujourd'hui en France.

La France n'est jamais oubliée !

Mais c'est vrai que la guerre en Ukraine a pris une dimension mondiale, et d'ailleurs cet interview de Lu Shaye en est l'illustration.

L'affrontement Chine-Etats-Unis, l'affrontement Chine-Europe dépasse de très loin la seule question de l'Ukraine.

Je ne crois pas vraiment à la "fatigue informationnelle" ...

Quand on s'intéresse à un sujet, on peut aller dans un degré de détails qui est tout à fait étonnant.

Des sujets géopolitiques qu'on n'aurait jamais pensé traiter il y a 2 ans, typiquement ces sujets sur la Chine, suscitent un très grand intérêt.

Cela se vérifie sur la courbe en termes d'audience.
Ces sujets internationaux sont très bien reçus, alors qu'ils sont difficiles intellectuellement.

Quand on parle du détail des rapports de force économiques entre Pékin et l'Europe, ce sont quand même des sujets qui demandent beaucoup d'attention !

Celà paraît beaucoup moins facile que les sujets sur la météo ou les vacances.

Mais nos chiffres d'audience montrent que les gens sont preneurs de ça !"

48 heures après cet interview,

une tribune avec 80 parlementaires européens signataires, publiée par le Monde ce dimanche soir,

demande à la ministre des affaires étrangères de déclarer l'ambassadeur de Chine en France " persona non grata ".

Et les gouvernements des 3 pays baltes convoquent leurs ambassadeurs de Chine pour des éclaircissements.

Thierry Mathieu,

Président d’e-crossmedia ,

le 23 avril 2023.