Éric Yung. |
Policier à l’antigang dans les années 70, Éric Yung a ensuite été journaliste en presse écrite puis en radio comme Rédacteur en Chef à France Inter. Intervenant également en télévision sur des dossiers de police justice, il est aujourd’hui écrivain.
Vous avez été flic à l’antigang au 36 quai des Orfèvres, puis journaliste.
Aujourd’hui vous écrivez des livres … Le nouveau ministre de la justice serait-il un bon personnage de roman ?
Monsieur, Maître Dupond-Moretti entretient sa dimension romanesque. C’est un personnage évidemment charismatique … J’ai toujours été surpris qu’un avocat puisse monter sur scène, faire du théâtre, accepte de tourner dans des films pour le cinéma, je trouve ce mélange des genres plutôt préjudiciable … J’ai relu son interview sur le plateau d’un journal télévisé, il affirmait qu’il ne serait jamais ministre. Il déclarait à la présentatrice qui l’interrogeait - comme à Laurent Delahousse qui a rediffusé une séquence du même type ce soir : "Je suis prêt à signer un document ici même devant vous ! ", et d’expliquer que ça ne correspondait pas à son tempérament … Etre depuis quelques jours garde de sceaux le met une fois encore en avant, sous les projecteurs, il est dans son élément : il se construit une image de personnage de légende ... Il aime être aimé, connu, vu.
Sa nomination place Vendôme c’est comme le point d’orgue : pour lui, ça doit être un aboutissement !
Au fil de sa carrière les personnalités pour lesquelles il a plaidé l’ont très souvent, déjà, propulsé à la une de l’actualité …
Il a toujours joué de ça, mais sans me faire l’avocat d’Eric Dupond-Moretti, il n’a pas été le seul. Tous les avocats célèbres ont usé de la provocation, souvenons-nous par exemple de Maitre Vergès ! Pour devenir des ténors du barreau il leur faut accepter des affaires très difficiles, provocatrices au regard de la morale publique ou du code pénal : c’est là-dessus qu’ils construisent leur notoriété. Pour être célèbres, il faut d’abord qu’ils deviennent, au pénal, des avocats de l’impossible.
Ça fonctionne sur ce principe depuis quelques deux siècles !
Il s’est lui-même indigné du fait que son téléphone professionnel ait été mis sur écoute dans le cadre d’une enquête liée à Nicolas Sarkozy. Il a retiré sa plainte en entrant au gouvernement mais s’est ensuite engagé à rendre publiques les conclusions de l’Inspection générale de la Justice. Les écoutes existent ; là où il est maintenant, il ne pourra plus s’en offusquer ?
Autrefois les écoutes étaient interdites, donc il fallait les pratiquer discrètement. Ça se passait aux Invalides à Paris et cette technique devait rester ultra confidentielle, sinon les procédures pouvaient être annulées, ou des scandales publics risquaient d'éclater. Les systèmes de branchement étaient compliqués, il fallait 2 ou 3 jours pour que cela fonctionne. Aujourd’hui tout est prêt en une heure, les écoutes sont pratiquées tous les jours.
Les techniques sont plus simples, plus rapides.
Regardez aussi comment ont évolué les filatures :
des fonctionnaires restaient discrets dans des voitures banalisées pour ne pas être repérés.
Mais paradoxalement les investigations durent beaucoup plus longtemps qu’autrefois du fait aussi des organisations criminelles qui ont évolué.
La délinquance a changé, à tel point que l’on n’entend jamais plus parler du service auquel vous avez appartenu, l’antigang …
Cette section telle que je l’ai pratiqué de l’intérieur n’a plus rien à voir, la délinquance et le crime ont évolué du fait de la mondialisation. Les grands braquages n’existent plus, puisqu’il n'y a pratiquement plus de liquide dans les banques.
Puis les criminels ont attaqués pendant 4 ou 5 ans les fourgons de transports de fond qui ont à leur tour été sécurisés.
Je suis convaincu que ces évolutions sont dues à la mondialisation, les voyous qui savent épouser l'époque se sont maintenant lancés dans le trafic d’armes ou de stupéfiants. Etre braqueur était un métier à risque ! Ils sont devenus des commerçants internationaux pour la plupart. Même les règlements de compte ont changé : les criminels d'autrefois, plutôt romanesques, n’existent plus.
Ce qui perdure en revanche, et qui est un dossier incontournable pour Eric Dupond-Moretti, c’est la sempiternelle question du secret d’instruction qui est sans cesse dévoyé …
Alors là … Rappelons déjà qu’à l’époque de mes activités policières au 36 Quai des Orfèvres, il n’y avait pas de relation officielle entre les journalistes, les magistrats et les policiers : cela n’existait pas.
Je fais partie, avec quelques autres comme Edwy Plenel ou Véronique Brocard, de ceux qui ont aiguillonné un peu les administrations judiciaires et policières en leur disant : « Communiquez, et arrêtez de vous plaindre ! ». Ça a été une véritable révolution à l’époque. Aujourd’hui les enquêteurs usent et abusent même parfois de la communication, souvent pour noyer le poisson.
Restent les étranges rapports parfois interlopes qui se nouent entre les journalistes et les policiers ou les magistrats ! Beaucoup se plaignent en effet du viol du secret de l’instruction, mais il faut toujours se dire que si une info filtre auprès des rédactions, c'est que cela profite à quelqu’un !
Si le grand public connaissait toutes les pratiques et les astuces, il serait surpris : les voies de l’info, aussi confidentielles et discrètes soient-elles, passent toujours en vérité par des gens "insoupçonnables".
Quand un politique, un juge, ou un policier laisse filtrer une information sensible , c'est pour qu'elle soit rendue publique par la presse, c’est qu’il y a un intérêt ?
J’ai connu ça quand il y a eu le scandale des hormones de croissance : des médecins prélevaient directement sur des cadavres dans des couloirs, c’était affreux.
C’est un magistrat qui n’arrivait pas à faire avancer le dossier qui a choisi de faire fuiter l’instruction, la cause était presque noble.
Donc, si il y a une intrigue à écrire, au plan romanesque, ça sera sans doute autour de ce type de relations entre des gens aux intérêts pourtant différents sur le papier : ca relève de rapports qui sont à la fois conflictuels et complices, c’est très étrange.
Ca a donc été le cas des écoutes téléphoniques diligentées par un ancien Président de la République,
dont a été victime un ténor du barreau.
Et il se retrouve aujourd’hui ministre de la Justice !
19 juillet 2020
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