Don de sa voix ... Pour la science ! Des entreprises françaises vont lancer une collecte pour ne pas être dépassées par les géants américains sur l'Intelligence Artificielle. Entretien avec Karel Bourgois, Président du "Voice Lab". |
"Un être humain va mettre à peu près une heure pour rédiger un article pour un site internet, alors que l'intelligence artificielle va mettre quelques secondes",
explique au micro d'Europe 1 Emeric Lebreton, chercheur en psychologie et auteur du livre "Robot Révolution".
Depuis quelques jours "NewsGPT", un site "d'information" américain est en ligne.
L'usage de l'Intelligence artificielle y est revendiquée : "Rejoignez les nouvelles à la croissance la plus rapide de l'histoire, toutes générées par l'IA".
Un papier y est même consacré à la catastrophe de l'explosion à Marseille.
Le Rubicon est donc franchi à l'écrit.
Mais pour que l'audio soit également concerné, l’Intelligence Artificielle a besoin de voix …
Alors que les américains Microsoft et Google, avec You Tube, ont déjà enregistré des millions d’heures de voix,
les start-ups françaises, elles, n’en comptabilisent aujourd’hui que 9000 !
Ces entreprises et labos français de techniques vocales – la "voicetech"- vont donc lancer une campagne
pour demander aux locuteurs francophones de donner, gratuitement,
un peu de leur voix …
Les applications sont très diverses :
la reconnaissance et la synthèse vocale, l'analyse des émotions, l'identification des locuteurs, la transcription orale de textes,
ou encore l'élimination des accents ou des imitations et transformation de la voix, même en temps réel !
Entretien avec Karel Bourgois, Président du Voice Lab.
"Les questionnements sur Chat GPT qui animent bien des conversations depuis quelques jours ont au moins un intérêt :
banaliser le sujet de l’Intelligence Artificielle, même si cela éveille un certain nombre de fantasmes.
Notre domaine ne concerne qu’une forme d’application de l’IA : comprendre ce qu’une personne dit, définir une réponse , synthétiser une voix et la restituer de façon sonore".
Un journaliste pourra demander à son ordinateur de lui écrire un flash
et de le présenter à sa place ?
"Pas totalement …
On peut imaginer qu’il utilise sa propre voix enregistrée au préalable, et qu’un texte rédigé via un logiciel la restitue.
Mais le résultat ne sera pas incarné.
La personnalité, la réflexion personnelle ne transparaitront pas dans la façon dont le flash aura été rédigé par la machine.
Il faudra donc le corriger, se l’approprier.
Ce ne sont pas des intelligences qui peuvent remplacer l’humain, en revanche ce sont des outils capables d’augmenter la productivité, et qui nécessitent une supervision.
C’est l’humain qui demeure l’expert.
Toute l’ambiguïté en fait réside dans l’appellation.
On parle d’Intelligence Artificielle alors qu’il ne s’agit pas d’intelligence.
Ce sont des algorithmes qui doivent être contrôlés par l’humain.
Voilà pour le fond … "
Mais dans la forme,
il faut constituer une sorte de banque de voix qui s'expriment en français, pour que l’écrit
devienne de l’oral ?
"Oui, c’est le domaine de la synthèse vocale.
Il faut enregistrer avec une qualité technique maximale des textes par des personnalités très diverses, de tout âge, d’origines différentes, avec des accents différents.
Cela existe déjà avec un logiciel utilisable sur n’importe quel ordinateur,
mais nous allons lancer avec le CNRS en septembre une campagne pour aller à la rencontre des publics partout en France pour stocker un maximum de voix.
Un camion équipé d’un studio visitera les régions de l’hexagone et proposera sur les places de marché par exemple à tout à chacun d’enregistrer sa voix."
Le même mot, la même phrase, prononcé par un basque ou un alsacien n’a pas forcément la même couleur …
"Exactement, moi-même avec mon accent parisien, je ne représente pas la norme réelle de la façon de parler qu’ont les Français dans leurs diversités.
C’est l’une des missions du ministère de la culture et la DGLFLF, la Direction Générale de la Langue Française et des Langues de France :
préserver la diversité des locuteurs. Ils collaborent à ce projet !"
Mais à partir du moment où vous l’aurez capté, ma voix ne m’appartiendra plus …
Elle pourra être utilisée comme des milliers d’autres.
N’y a-t-il pas une question juridique, fondamentale ?
"En fait votre voix ne sera pas utilisée en tant que telle.
Elle sera parmi d’autres un élément qui permettra aux algorithmes d’interpréter et de comprendre un son.
Des avocats ont validé toutes les conditions de cette opération pour garantir une éthique irréprochable.
Nous travaillons avec les ministères des finances et de la culture, comme avec la Commission Européenne pour, justement, avancer avec des garanties éthiques
et donner aux entreprises françaises la possibilité de ne pas être dépassées.
Ces entreprises françaises comme les laboratoires de recherche publics qui participent à cette initiative entendent ne pas se laisser dépasser au plan mondial par les géants américains,
qui pour certains n’ont pas les mêmes principes et accèdent, on le sait, à des données de manière non légitime."
La voiture qui a remplacé le cheval a fait peur, comme les robots dans les usines, ou les ordinateurs il n’y a pas si longtemps …
Les avancées technologiques sont toujours perçues comme dangereuses !
"Nous avons à la fois besoin de contrôler ces avancées, mais en même temps il faut faire attention parce que si on multiplie les freins,
nous avons le risque d’être rapidement dépassés par des acteurs qui se sentent libre d’avancer coûte que coûte.
Il faut trouver les moyens d’élaborer un cadre juridique qui soit régulateur mais qui favorise aussi avec des garanties éthiques l’innovation pour l’espace français et européen.
Des textes de loi sont en cours d’élaboration pour que cette évolution se fasse dans des conditions régionales.
Moi-même je pense qu’il s’agit d’une opportunité de progrès qui est assez incroyable.
Nous faisons dès aujourd’hui des choses dont nous n’étions pas capables il y a seulement quelques mois …
Avançons donc en ayant bien en tête que toute technologie nouvelle peut être utilisée de façon malveillante.
Faisons tout, donc, pour empêcher tout usage déviant".
Thierry Mathieu,
Président d’e-crossmedia,
le 10 avril 2023.
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