C'est l'histoire d’un temps que les moins de 20 ans peuvent à peine imaginer …
Pour eux, les digitaux natifs, les conditions de couverture des manifestations de 1968, c’est de la préhistoire !
Pourtant …
Il se dit qu’aujourd’hui, pour s’informer, une part du public délaisse les médias traditionnels et leur préfère ce qui se publie sur les réseaux sociaux.
Ils y recherchent une forme d’indépendance, suspicieux des liens avec les puissances politiques ou économiques, qui nuiraient à l’objectivité des médias "mainstream".
C’est en réalité une réaction assez comparable à celle de la génération de leurs ainés, au printemps 1968 !
Il y a pile 55 ans le 20 mars, des étudiants sont arrêtés lors d'une manifestation contre la guerre du Viêt Nam,
ce qui met le feu aux poudre deux jours plus tard à la Fac de Nanterre.
Il n'existe alors que 2 chaines TV évidemment publiques, et en radio France, Inter est leader avec 33 % d’audience.
Au fil des semaines alors que les évènements se précipitent dans les rues et gagnent les entreprises, ces rédactions de l'ORTF se sentent bâillonnés par le pouvoir.
Des émissions d'actualité sont déprogrammées : journalistes et techniciens finissent par se mettre en grève.
De Gaulle demande que ces "trublions" se taisent …
50 journalistes seront licenciés, d'autres seront mutés ou mis d'office à la retraite.
Pour s’informer les auditeurs et les télespectateurs sont en recherche de direct, de précision, pour ne pas dire d’objectivité.
Alors, de la même manière qu’aujourd’hui, une partie du public se tourne vers d’autres sources d’info ...
Les soixante-huitards collent à l’oreille leur transistor et se calent sur les radios périphériques.
Même si l’état détient des parts importantes dans ces stations via la SOFIRAD, leurs émetteurs sont braqués vers l’hexagone depuis l’étranger.
Bien sur, il y a toujours le risque que les câbles qui partent des studios en France vers ces sites de diffusion soient cisaillés,
mais les rédactions se sentent tout de même plus libres de leur parole qu'à l'ORTF.
« Radio des émeutes », « Radio Barricades » :
c’est l’heure de gloire d’RTL, Europe 1, mais aussi Radio Monte Carlo ou encore Radio Andorre.
Christian Brincourt et Gilles Schneider entre autres, micro en main avec leurs voitures émettrices bariolées de logos, racontent en direct les échauffourées au Quartier Latin.
Les antennes sont révolutionnées :
place à l’info en permanence, ce sont presque des radios d'info continue avant l'heure !
Les patrons sont H 24 au cœur des rédactions, et les jeunes reporters deviennent les stars du moment
L’auditeur accorde sa confiance à l’époque à ces grands professionnels de l’info.
Ils ont auparavant affuté leurs savoir-faire en couvrant l'Algérie, la guerre de six jours, ou le Vietnam !
Même enflammés par l'ambiance du terrain, ils ont la religion de la vérification, du recoupement, de la distanciation, de l'explication du contexte à propos du moindre évènement.
La réelle libération des ondes intervient ensuite en France avec l'ouverture de la bande FM et l'écolosion des radios libres.
Par la loi du 9 novembre 81, François Miterrand permet officiellement à tous l'accès aux micros,
alors que déjà nombre de "pirates" émettent à l'image de l'emblématique Lorraine Coeur d'Acier à Nancy et Longwy.
Depuis quelques années en effet le contrôle des ondes s'avère compliqué ...
Arrivent par exemple gare de Lyon à Paris depuis l'Italie, des éléments d'émetteur sous la robe d'une jeune femme prétendument enceinte !
Des amateurs soufflent un vent nouveau en modulation de fréquence, et les programmes sont souvent peu "modérés", dans le fond comme dans la forme.
Beaucoup de journalistes, d'animateurs, de techniciens se professionnalisent très vite,
à tel point que leurs stations finissent par s'industrialiser et figurent aujourd'hui parmi les "majors" du marché.
Elles sont aujourd'hui, à leur tour, "institutionalisées".
Mais c’est en 89 que débute au plan mondial la véritable révolution …
Le 12 mars Tim Berners-Lee, un anglais du "laboratoire européen pour la recherche nucléaire", choisit d'ouvrir l'échange d'informations scientifiques aux militaires et aux universitaires.
C’est le « World Wide Web », qu'il imagine donc à usage professionnel.
Mais à peine 4 ans plus tard, le fameux "www" est en réalité accessible à tous !
Chacun peut même créer son propre serveur et donc son site Web :
un million de d’offre est accessible dès 1997 !
Mais à l'époque tout se passe forcément encore sur un ordinateur fixe.
Sur leurs blogs les internautes échangent d'emblée leurs opinions, leurs recettes de cuisine ou leurs souvenirs de voyage...
Dès 2003 apparait le réseau Linkedin, puis Facebook qui explosent quand le web peut s’emporter dans la poche avec l’arrivée du smartphone.
C’est l’avènement du "mobile-first", cet outil capable d’envoyer des textes, des photos et des vidéos instantanément.
Postés sur des sites ou diffusées en direct, les vidéos se propagent en accès libre dans le monde entier comme une trainée de poudre,
sur des plateformes comme YouTube ou les messageries cryptées du type Télégram.
C'est la porte ouverte aux nouveaux usages pour le plus grand nombre.
Dorénavant, plus besoin d'émetteur.
Chacun peut se prendre pour un journaliste !
Ce sont donc des outils à la portée de tous, de dialogue, d’information ...
Mais aussi de propagande ..
Les auteurs des publications, sur nombre de réseaux sociaux, ne s’imposent pas les mêmes règles de déontologie qui caractérisaient les grands pros de l’info d’il y a 55 ans...
A l'image de ces Twitts à tendance complotistes qui se multiplient ces jours-ci :
Alors que les médias mainstream n'hésitent pas à reprendre des images, justement, sur les réseaux sociaux.
Y compris d'organisations d'ultras ... !
Reste qu’il demeure simple pour tout à chacun de distinguer le bon grain de l’ivraie !
Pour mémoire dans la nuit du 10 au 11 mai 1968, Maurice Siegel, le directeur général de la station de la rue François 1er, prend la parole :
"Nous ne prenons pas le micro pour y déverser n’importe quoi.
Ce n’est pas notre rôle.
Nous sommes des gens censés, qui doivent savoir ce qu’ils disent quand ils prennent un instrument aussi difficile à manier que le micro.
C’est ce que nous avons fait, c’est ce que nous continuerons de faire".
Thierry Mathieu,
Président d’e-crossmedia,
le 20 mars 2023.
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